Art et Artisanat

Les nuances entre l’art et l’artisanat sont parfois très floues ; d’autres fois elles restent claires et précises. Faire une distinction entre ces deux métiers n’est donc pas toujours une chose aisée et s’entendre sur une définition l’est encore moins. Toutefois, un certain préjugé semble placer l’art bien au-dessus de l’artisanat alors qu’autrefois les deux termes se rejoignaient.

Depuis l’antiquité, l’artisan désigne et le poète et le potier, ils étaient tous les deux  définis comme étant Homme de l’Art. Les deux notions sont toujours confondues et ce jusqu’au XVIIème siècle où aucune distinction institutionnelle ni différenciation stricte n’est établie entre eux. Ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle que l’artisanat va se séparer de l’art : le premier englobe tout ce qui concerne la production à des fins pratiques et utilitaires, tandis que l’autre deviendra l’expression du Beau. On parlera alors de Beaux-Arts.

Les deux métiers requièrent pourtant pratiquement le même parcours : un long apprentissage de différentes techniques et  des connaissances empiriques. Le point divergeant entre les deux est que l’artisanat ne peut être considéré comme un outil d’expression et ne peut être réalisé sans une certaine expertise et un savoir-faire plus ou moins élevé.

C’est un travail qui s’apprend et ses différentes méthodes sont acquises par l’apprentissage. Quant à l’art, c’est un moyen pour faire passer un message, l’œuvre sert l’idéologie de l’artiste et le tout repose sur la créativité. Ce n’est pas un métier qui s’apprend, il dispose certes de

connaissances techniques, mais en général cela reste insuffisant.

Dans l’ouvrage « Critique de la faculté de juger » d’Emmanuel Kant, l’auteur considère l’art comme étant libéral tandis que l’artisanat est dit mercenaire ; le premier est vu comme une activité agréable alors que le second est plus un métier, une activité désagréable. Certains pensent que les deux nécessitent un long apprentissage, mais l’un reste un travail manuel et l’autre intellectuel.

Ce préjugé classant l’art comme étant supérieur à l’artisanat n’est pas récent, mais ce qui l’a construit ce n’est pas la distinction art manuel ou art intellectuel (bien qu’il y est aussi pour quelque chose, les nobles et les bourgeois ne s’adonnaient pas aux travaux manuels), c’est plutôt l’utilité des deux métiers.

Selon le philosophe français Maurice Blondet, l’art est subordonné à « des fins idéales », il « satisfait, si l’on peut dire, des besoins non utilitaires ». Donc seuls les plus fortunés pouvaient se permettre ce luxe.

Les avis sur la question restent mitigés et surtout critiques : soit il s’agit de critiquer l’artisanat au profit de l’art, soit c’est le contraire. De nos jours, les frontières entre ces deux notions sont plus fines que jamais, il est possible d’être artiste et artisan à la fois. L’art n’est pas toujours l’expression du Beau, Barnett Newman pense que « le mobile de l’art moderne a été de détruire la beauté, en niant complètement que l’art ait quoi que ce soit à voir avec le problème de la beauté. » et plusieurs artistes le confirment par la suite comme l’œuvre « Fontaine » de Marcel Duchamp. Aussi, le métier d’artisan n’est pas forcément désagréable et, tout comme l’art, peut également faire appel à la créativité et à l’intellect de la personne qui le pratique.

Un terme plus récent a fait son apparition: le designer. La dernière exposition au MAMA portait sur le design et mettait en exergue plusieurs designers algériens et italiens.




A Alger, plusieurs designers s’établissent de plus en plus, comme Brokk’art ou La D’wira Chic par exemple, avec des modèles toujours plus innovants et des idées plus originales les unes que les autres. Les deux arrivent à mélanger art et artisanat de manière harmonieuse, tout en restant uniques et reconnaissables par leur style comme on reconnait que telle œuvre d’art a été faite par tel artiste.

Que ce soit de l’art, de l’artisanat ou du design, le classement des pièces réalisées n’est pas toujours facile ; ces trois métiers se chevauchent et s’inspirent les uns des autres, ce qui, parfois, permet à leur créativité de se déployer sans limites.

Inspirations d’ailleurs

Eugène Delacroix – Femmes d’Alger dans leur appartement (1834)
 

En art comme en littérature, l’occident a depuis toujours cherché l’inspiration ailleurs, ce qui a largement contribué à la richesse et à la diversité de leurs œuvres. Ils ont puisé leur inspiration dans des pays avoisinants les leurs, comme Alfred de Musset et sa pièce théâtrale Lorenzaccio ; et même plus loin encore comme Claude Monet qui a peint toute une série de toiles sur le Japon et se classent parmi ses œuvres majeurs.

Dès que l’occasion se présente et que les moyens sont mis à leur disposition, les artistes n’hésitent pas à aller s’aventurer dans des contrées inconnues pour la découverte et, surtout, l’inspiration. C’est exactement ce qui s’est passé avec les orientalistes et leur arrivée en Algérie.

Rassurés par la présence militaire de l’armée française, plusieurs artistes peintres sont venus en Algérie où ils ont tout de suite été subjugués par son éclat, ses couleurs et son architecture éblouissante. Parmi les premiers être arrivés sur le territoire algérien, Eugène Delacroix trouve son bonheur en 1832 : après un séjour au Maroc, l’artiste, accompagné du Comte Charles de Mornay, fait une escale de trois jours à Alger où il eut l’occasion de découvrir l’intérieur et le mode de vie des femmes musulmanes, chose qui lui était interdite dans le pays voisin.

Delacroix fut complètement charmé et émerveillé par ces femmes et pris d‘innombrables notes et croquis pour pouvoir les étudier une fois rentré. Deux ans après, il expose déjà « Femmes d’Alger dans leur appartement », une œuvre qui marquera l’histoire de la peinture française.

 

Pablo Picasso – Femmes d’Alger version « O » (1955)
 

D’autres artistes ont suivi, mais se sont dirigés un peu plus vers le sud, dont Eugène Fromentin qui non seulement a peint le sud algérien, mais a également écrit dessus. Etienne Dinet aussi, qui s’est carrément converti à l’islam et s’est rebaptisé Nasreddin Dinet ; ses œuvres continuent d’être une référence jusqu’à présent.

L’orientalisme s’est éteint vers le milieu du XXème siècle, le style n’est plus aussi prisé qu’avant et les nouveaux artistes se tournent vers autre chose. Toutefois, les thèmes abordés en orientalisme ne sont pas complètement abandonnés, les œuvres continuent d’inspirer même si le style a disparu. L’une des œuvres d’art la plus cher dans l’histoire de l’art est inspirée par une œuvre orientaliste, celle de Delacroix.

En effet, Picasso a repris le thème de « Femmes d’Alger dans leur appartement » et l’a peint en plusieurs versions afin de rendre hommage à son artiste favori. « Femmes d’Alger » devient une série de quinze toiles allant de ‘ A’ jusqu’à ‘O’ ; cette dernière a été peinte en honneur à son ami Henri Matisse.

[Sondage] Influence de l’Art

L’art en Algérie est un domaine relativement restreint et pousse à se poser plusieurs questions : Est-ce qu’il intéresse le public ? Et est-ce qu’il est apprécié ? Quel domaine artistique réussit le plus ? Quelle influence a-t-il sur les gens ? Et qu’en est-il des expositions ? Afin de trouver des réponses à nos interrogations, nous avons effectué un sondage pour un public qui côtoie l’art de manière quotidienne dans leur lieu de travail.

Une cinquantaine de personnes s’est prêtée au jeu. Le sondage contenait des questions basiques et rien de vraiment poussé, histoire d’avoir une idée sur l’influence de l’Art. La toute première question était de savoir s’ils aiment l’art ou non : 93,62% des réponses étaient positives contre seulement 6,38% de réponses négatives, mais la question suivante sur l’importance de l’art a obtenu encore plus de réponses positives (97,87% ont répondu oui et 2,13% ont opté pour le non).  Comme quoi, on peut ne pas aimer l’art mais admettre qu’il a quand même son importance !

En ce qui concerne l’achat d’œuvres d’art, ceux qui ont déjà acheté une œuvre sont un peu moins nombreux que ceux qui n’en ont jamais acheté : 42,55% contre 51,06% et 6,38% pour autre (œuvre offerte ou la personne est elle-même artiste), mais ils s’accordent pratiquement tous à dire qu’ils envisagent d’en acheter un jour (88,57% de réponses favorables contre 11,43%). Quant à leur participation aux expositions, nous obtenons un pourcentage très serré entre « souvent »  (25,53%), « rarement » (29,79%) et « seulement quand je suis invité » (29,79%), le manque de temps et de publicité sont probablement à blâmer.

Les participants au sondage sont une majorité à penser que l’art devrait avoir une plus grande place en Algérie, qu’il devrait avoir « une place culturelle et faire partie du quotidien », pour citer une des réponses anonymes. L’art en général est apprécié et encouragé à être quotidiennement présent, que ce soit la peinture, la musique, la poésie… Toute forme d’art a son importance. D’ailleurs, le manque de présence des expositions de photographie par rapport à celles de la peinture laisse penser que ce dernier medium l’emporte sur le premier, mais nous avons été étonnés de voir que la photo l’emporte largement sur la peinture avec une différence de 11,91% !  Le dessin au crayon, la sculpture et la calligraphie obtiennent respectivement 4,76%, 7,14% et 9,52%.

La fréquentation des œuvres d’art réussit quand même à rendre une grande partie des participants plus sensibles à l’art (72,34%). A savoir si leur choix des œuvres est également influencé car ils se rejoignent presque tous en préférant une œuvre qui possède un fort message derrière plutôt qu’une œuvre purement décorative ; et vont vers une œuvre qui leur plait qu’une œuvre qui ne les inspire pas mais qui soit faite par un artiste mondialement reconnu.

Nous pouvons donc en conclure qu’une majorité de personnes est intéressée par l’art et, parmi cette majorité, la moitié est déjà en possession d’œuvres d’art tandis que l’autre moitié envisage de l’être. C’est un milieu en constante mouvance qui, nous l’espérons, le restera de manière positive !

 

 

 

Note: Le sondage a été fait le 23/01/2017.

Modernisation des musées en Algérie

Moderniser les musées peut évoquer une refonte architecturale générale ou partielle pour les rendre plus minimalistes ; comme cela peut évoquer une modernisation de tout ce qui y est exposé : art exclusivement moderne et contemporain. Toutefois, nous parlerons ici de l’intérêt suscité par les musées algériens à une lointaine période.

En 1966, l’Unesco a porté une attention particulière aux musées algériens en envoyant Kazimierz Michałowski – archéologue, égyptologue et historien de l’art polonais,  en Algérie afin qu’il « conseille les autorités compétentes en ce qui concerne la législation, la modernisation des musées et les échanges internationaux entre musées » (Source p.3). L’historien a eu toute l’aide nécessaire pour qu’il puisse visiter les musées et, par la suite, savoir quoi conseiller pour pouvoir établir un bon échange international.

Il achève sa mission en rédigeant un compte rendu détaillé de tout ce qui a été remarqué, ce qu’il faut changer ou, au contraire, ce qu’il faut impérativement garder. Les principales opérations nécessaires au développement des musées en Algérie seraient, selon Kazimierz Michałowski, d’effectuer des échanges entres musées au niveau national et international ; de former des cadres professionnels et diplômés en muséologie ; mais surtout que les étudiants qui suivent cette voie soient encouragés par le gouvernement à travers des bourses, des stages de 3 à 6 mois, etc.

Pour ce qui est de ce dernier point, à cette époque déjà le Musée du Bardo possédait le centre de recherche anthropologique, préhistorique et ethnographique (CERAPE) le plus développé en Algérie. Travaillant avec les Beaux-Arts, la branche technique du CERAPE pouvait former la base des cadres techniciens et professionnels et, de ce fait, effectuer un échange entre musées tout en formant de jeunes étudiants en muséologie.

Le Musée des Beaux-Arts est d’ailleurs d’une richesse impressionnante en ce temps-là,  il possède également une excellente bibliothèque régulièrement mise à jour  (le rapport de la conférence générale de l’ICOM qui s’est tenue à New York en octobre 1965 était déjà présent à la bibliothèque des Beaux-Arts en début de l’année suivante). C’est un musée qui, toujours selon Michałowski, a « toutes ses chances de devenir un musée-pilote pour toute l’Afrique » (Source p.8), mais  le seul problème reste l’accès au bâtiment. En effet, le musée n’était desservi que par un seul bus d’une heure de trajet, ce qui est assez suffisant pour en décourager plus d’un ! Heureusement, le problème ne se pose plus aujourd’hui car l’accès et devenu largement plus facile et rapide.

Cependant, toute l’étude de l’égyptologue est construite exclusivement sur l’idée qui a été proposée par M. Abdul Hak à propos d’une construction d’un musée central à Alger, il regrouperait plusieurs départements et représenterait tout l’art et la culture d’Algérie. Le plan du futur bâtiment était basé sur l’idée du Corbusier d’un musée « à croissance illimité », le musée central aurait regroupé tous les domaines avec ses multiples départements : archéologie, art musulman, peinture, sculpture, etc., et organisé des échanges, des fouilles archéologiques, des expositions temporelles et permanentes…les activités sont aussi multiples que diversifiées et opérant toutes pour un objectif commun.

Pour l’historien de l’art polonais, « l’Algérie a un devoir à remplir envers l’humanité et envers elle-même dans le domaine des études archéologiques et muséologiques en raison de la richesse de son patrimoine artistique et culturel » (Source p.20). Le pays a toutes les capacités pour entreprendre un tel projet, les premiers résultats ne seront certes visibles qu’au bout de quelques années, mais ils seront quand même concluants.

 

Source : Dr. Kazimierz Michałowski, « Algérie – La modernisation des musées en Algérie », distribution limitée, UNESCO, Paris, mai 1966.

Introduction à l’art pictural algérien

C’est autour des années 1920, avec une génération de peintres que l’on considère aujourd’hui comme les précurseurs de la peinture algérienne contemporaine tels que ; Azouaou Mammeri, Mohammed Zmirli, et Mohamed Temmam que se dessine peu à peu l’introduction d’éléments de la modernité artistique tels que l’impressionnisme dans l’art algérien.

C’est en effet avec cette génération, qui couvre une période allant des années vingt aux années cinquante que la vision figurative et narrative considérées jusque-là comme étrangères à la sensibilité maghrébine est réellement remise en question, faisant ainsi naitre le véritable art moderne algérien.

Les années 1950 ont connu une génération de peintres très actifs, ayant pour certains, fait l’école des beaux arts d’Alger, d’Oran ou de Paris. Parmi eux, se distinguent principalement les noms suivants : Benanteur, Guermez, Mesli, Issiakhem, Khadda, Louaïl, chacun selon sa formation et sa sensibilité, propose une œuvre qui prédomine jusqu’à ce jour l’art algérien.

Parallèlement à ces réalisations « intellectualisées », nous retrouvons une tendance qui cultive la spontanéité du geste, « l’art naïf », qui est incarné dans l’œuvre de Baya. L’artiste s’affirme et occupe une place importante dans l’art algérien avec des œuvres d’une improbable féerie dans lesquelles elle joue avec les lignes épurées, les motifs et les couleurs vives comme le rose indien ou le bleu turquoise.

Inscrit dans le même courant, nous retrouvons l’artiste Hacène Benaboura qui peint avec des gestes spontanés, essentiellement des vues d’Alger.

Au lendemain de l’indépendance, à partir de 1963, de nombreuses expositions auxquelles les peintres algériens participent sont organisées à Alger et à Paris. Ils exposent aux côtés de grands peintres européens comme Louis Béniti, Maria Monton ou Marcel Bouqueton. C’est à cette époque que ces nombreux artistes participeront au développement de la peinture figurative.

Durant cette même décennie, de jeunes artistes vont revendiquer leur identité à travers l’esthétique de leur art. A la fin des années 1960, nait alors le groupe « Aouchem » (tatouage) qui rassemble une dizaine d’artistes, parmi eux, Rezki Zérati et Hamid Abdoun.  Le groupe s’inspire des traditions classiques qui ont réussi à se maintenir dans l’art populaire : tissage de laine, poterie, décorations murales, travail du bois et du métal … ils ont également recours à la graphie de lettres et de signes, ils puisent aussi bien leur inspiration dans les motifs targuis des caractères sahariens que dans la culture andalouse.

Dès 1980, l’art algérien se transforme en un art d’essence universel et acquiert une indépendance de l’expression. Une nouvelle vague d’artistes défendant l’idée de la nécessité d’ouverture sur l’art universel apparait.  De nombreux artistes laisseront dès lors libre cours à leur talent et  iront comme Hioun l’a fait à la  fin des années 1980, jusqu’à l’expérimentation de techniques telles que la gravure, la fresque ou la sculpture, privilégiant l’expérimentation esthétique personnelle.

Les années 1990 représentent une époque sombre pour l’Algérie qui doit faire face à un fanatisme meurtrier, durant cette période, l’art algérien connaitra un lourd silence.  Le poète et romancier Tahar Djaout, symbole de la résistance intellectuelle à l’intégrisme ainsi que de nombreux artistes parmi eux : le poète Youcef Sebti ou le dramaturge Abdelkader Alloula sont assassinés. Les peintres se retrouvent alors sous la menace contraints de fuir le pays pour se réfugier en France. Mais ils continuent à opposer au cauchemar meurtrier du fanatisme le visage de l’Algérie créative en  se tournant à nouveau vers la peinture figurative qui connait alors un succès et prend  une place prépondérante sur la scène artistique internationale.